En décembre 2010, Damien avait alors 11 mois, nous lui avons trouvé une bonne bosse sur la tête. Ça avait l'air d'une prune. On s'est dit qu'il se cognait tout le temps ; rien de plus naturel. On ne s'est pas inquiétés.
Après 2 mois on s'est dit «Coudonc, ça dure combien de temps, une prune?» alors on est allés chez la pédiatre, qui nous a envoyés à Ste-Justine. Déjà, le stress embarque. Avez-vous déjà essayé de faire passer une radiographie à un mousse de 12 mois? Mission impossible. Il a fallu enrouler mon fils dans une serviette, le coincer entre 2 planches de bois et que je le maintienne en position. Déjà, passer un scan, c'est désagréable. Avoir l'impression de traiter son fils comme un animal indiscipliné pour l'empêcher de bouger pendant qu'il hurle, c'est carrément à se trancher les veines.
Mais je n'avais encore rien vu.
La radio n'a pas vraiment été utile. Alors ils nous ont fait passer une échographie cervicale. Là, ils ont vu quelque chose. MAIS ILS NE SAVAIENT PAS CE QUE C'ÉTAIT.
C'est là que le monde arrête de tourner. Quand un radiologue, dans la cinquantaine (donc qui a l'air d'avoir une bonne expérience) du meilleur hôpital pour enfants de la grande région de Montréal, te dit qu'il n'a jamais vu ça de sa carrière, tu CAPOTES. Le tourbillon d'émotions contradictoires est hallucinant : rage de se trouver devant un radiologue incompétent, injustice que ce soit TON enfant qui subisse ça, incompréhension (ça ne peut PAS nous arriver??!?), détresse ultime, tristesse immense, terreur incontrôlable. Et ensuite le mot saute dans ton esprit avec l'agilité d'un olympien triple-médaillé d'or : CANCER. Je suis sûre que c'est un cancer. Un type de cancer encore inconnu. Alors les autres mots déboulent : chimio, radiothérapie, perte de cheveux, système immunitaire déficient, hôpital, traitements, mort... mort? Pour vrai? Un bébé, ça ne peut pas mourir, non?
Je n'ai jamais été aussi malheureuse de ma vie. Ces quelques minutes ont été un calvaire.
Et le radiologue nous quitte en disant «Je vais voir ça avec des collègues, on vous rappelle dans quelques jours.» QUOI? Parce que tu penses que je vais vivre ça pendant quelques jours? Euh, non.
Je me suis effondrée. Kevin me suppliait de me calmer, pour que Damien ne soit pas effrayé. Il n'y a rien qui bouleverse davantage mon fils que sa maman qui pleure ou qui a mal, et ce depuis qu'il est en âge d'exprimer des émotions.
Les quelques minutes où j'ai tenté de reprendre mon calme ont été un coup du destin : elles ont permis que nous soyons encore là quand le radiologue est revenu. Pour nous dire qu'il avait parlé à un collègue, et que lui savait c'était quoi. Alleluia!
Un kyste dermoïde. Pardon? Un kyste dermoïde. Des cellules de peau et/ou de poils, qui ne sont pas à leur place. Au lieu d'être dans la peau, elles sont dans l'os. WTF? Pas en-dessous de l'os, non, DANS l'os. Dans la couche d'os qui recouvre le cerveau de mon bébé. Et comme des cellules de peau, ça se desquame, alors ça grossit, à perpétuité.
Ok, alors on fait quoi?
On opère.
Comment ça on opère? On ne va pas ouvrir le crâne de mon fils? Si.
La deuxième bombe. Opération en neurochirurgie. Le plus vite possible. Rencontre avec le neurochirurgien, chef du service de neuro de Ste-Justine. Super gentil le monsieur. On vous appellera dès qu'on aura une place dans l'horaire. Vous devrez prendre une semaine de congé. (Une semaine? Je prendrai un an s'il faut.)
Ça prend un mois avant de recevoir le-dit appel. Ma patronne, super compréhensive, ne dit pas un mot, si ce n'est pour me faire savoir que toute mon équipe au boulot pense à moi et est avec moi. Le soutien, c'est précieux.
Un dimanche soir, le 27 mars 2011, on entre à Ste-Justine. Maman va dormir là avec Damien. Il n'y a qu'un seul lit, de la place que pour une personne. Ça a du être déchirant pour Kevin de repartir dormir à la maison. Damien a découvert la salle de jeu de l'hôpital. On lui pose un cathéter. Ça va relativement bien. On rencontre nos compatriotes de chambre.
Damien, la veille de son opération, à Ste-Justine |
Le lendemain matin, Kevin était là à 5h. L'opération est prévue pour 13h. Damien doit être à jeûn. Premier combat. Damien a 14 mois : il n'a jamais connu la faim. Il hurle tout l'avant-midi, souffre, crie, pleure, ne comprend pas. Nous devons le consoler, et attendre. En milieu d'avant-midi, il passe une résonance magnétique, pour confirmer le diagnostic (WTF? le jour de l'opération??) Première anesthésie générale, car on ne doit pas bouger pendant 45 minutes pour un scanner. Explique ça à un bébé affamé. Donc premier stress intense. J'ai le droit d'entrer avec mon fils dans la salle de résonance magnétique. Je le surveille. Je pleure. Je ne le lâche pas des yeux. Je me dis que je ne le lâcherai plus jamais des yeux de toute ma vie, après.
Le scan confirme le diagnostic. Damien se réveille. L'anesthésie a un drôle d'effet. Donne l'impression qu'il a bu de l'alcool. Damien rit en se réveillant, est incapable de coordonner ses mouvements. On réussit à trouver ça drôle. Le stress, peut-être. Papy et Mamie sont là, avec nous.
Réveil après la première anesthésie |
2h plus tard, le médecin est venu nous dire que c'était terminé, que tout avait bien été. Que nous allions voir notre fils dans 15 minutes. Quand il est arrivé, sur son lit roulant, poussé par un infirmier jovial et souriant, ça a été le plus beau moment de ma vie. Il avait sa petite jaquette jaune, son ourson dans la bouche, des petits yeux fatigués et un sourire... le plus beau des sourires. Le soleil en personne. Je ne fais que l'écrire et je frissonne, les larmes aux yeux. Le plus beau moment de ma vie. Plus encore que sa naissance. J'avais tellement eu peur de le perdre...
Mon bébé, fiévreux mais sans danger, se repose après l'opération. |
Damien s'est rétabli comme un champion. Il est sorti de l'hôpital le lendemain midi. Papy est venu nous chercher, car papa travaillait. Maman a pris la semaine de congé. Plus tard, les analyses ont démontré que le kyste était bénin, aucune cellule cancéreuse n'avait attaqué mon trésor. C'est à partir de ce moment que j'ai toujours appelé Damien mon trésor. Parce que c'est ce que j'ai de plus précieux au monde, et que j'ai eu si peur qu'on me l'enlève.
Le lendemain matin de l'opération |
La cicatrice |
Mai 2011, mon trésor est guéri. |
Damien, je t'aime plus que la vie même.
Maman xxxxxxxxx